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Lisbonne

1974 - Lisbonne - je découvre la ville, mais je ne vois rien, obnubilé par la révolution, paisible, des œillets.

Quelques jours plus tôt, on est parti groupe, en combi VW bien sûr, celle du voyage au Proche-Orient un an plus tôt, une ancienne ambulance reconvertie. A l’intérieur, tous des blessés, du cœur ou des tripes. On traîne nos blessures d’un coin du monde à l’autre, incapables ou impuissants à guérir. Après le coup d’état militaire du Chili, le Portugal est un bien piètre pansement. Mais on y croit dur comme fer. Nous sommes des milliers de jeunes, étrangers, à être descendus en catastrophe au Portugal, soutenir la révolution, très peu consolidée. Un régiment sort d’une caserne. Par centaines, nous le suivons. Le bruit des chaînes des chars sur les pavés est assourdissant. Mêlés aux cris, la cacophonie révolutionnaire est à son comble. Je me retrouve quelques moments seul, allégé du groupe, me retrouve par hasard avec le correspondant du Monde, de quoi objectiver un peu. Mais l’adrénaline est là, amplifiée par les odeurs de mazout, le bruit des chars et ces chants, incessants, « Alerta, alerta, as armas, as armas ! ». C’est ma première révolution en direct. Il y en aura d’autres, pour tous les goûts, paisibles comme un angelot d’une église baroque, ou froide comme un membre d’un comité central de parti communiste. Violentes aussi, extrêmement violentes, ou simplement en s’embrassant. « Abrazos y no balazos » comme dirait Andres Manuel Lopez Obrador.

Le short en tissu style mousseline entre profondément dans les fesses d’une « à l’air perdue » bien en chair qui commande au bar pas moins de dix pasteis de nata. Je me dis que, vu son âge, elle doit être une enfant de la révolution.

Nous allons de lieux révolutionnaires en lieux révolutionnaires, comme en pèlerinage : des écoles nouvelle pédagogie, des étudiantes comme folles de découvrir la liberté, les syndicats des chantiers navals de la Lisnave, véritable aristocratie ouvrière, par où doit passer l’appropriation révolutionnaire protégée par les jeunes capitaines, quelques pensions internationalistes sous les toits d’immeubles populaires du centre où des matrones surfent sur le filon de cette jeunesse sans le sous, mais véritable mine d’or pour elles. Nous sommes des dizaines à partager quelques pauvres chambres et ce qui, de loin, ressemble à une douche. Toutes les nationalités se croisent et s’entremêlent, comme les corps, épuisés par l’effort et la chaleur, heureux simplement d’être là et partager ce moment d’histoire.

Quelques jours plus tôt nous nous sommes arrêtés pour la nuit dans une coopérative paysanne. Les paysans-ouvriers s’étaient emparés des terres et du château d’un duc local. Lors de la visite de la propriété, solidaire, nous avons pu déguster le porto des caves ducales. Des barriques à perte de vue. Je n’avais jamais bu un tel de nectar et je n’en ai jamais rencontré de pareil depuis. Nous nous sommes tous retrouvés le soir autour d’un immense feu, ouvriers, paysans, étudiants, tous dans les vapeurs enveloppantes du porto, l’âme au bord des lèvres. Une guitare est sortie de je ne sais où. Un chant est monté, sorti de toutes ces gorges, certaines plus douces, d’autres rocailleuses mais il y avait une voix qui se distinguait de toutes les autres, celle de José Alfonso. Nous étions, sans le savoir, à Torre-Bela.

Quelques années plus tard, je suis retourné à Lisbonne, toujours pour la révolution, mais cette fois, une autre, la révolution érythréenne. J’ai connu Luis et Anna qui ont monté un Comité de soutien au peuple érythréen. Je n’ai toujours pas découvert Lisbonne, empêtré que j’étais entre de multiples réunions, toutes plus importantes que les autres. Ah non, j’oubliais, à l’exception de quelques rues glauques ou je servais de guide à un pote érythréen venu tout droit des zones libérées et interdit de sexe depuis plusieurs années, comme une préfiguration d’un régime politique pire que les talibans. Il était à la recherche, simplement, d’une gentille. C’est curieux que tous les médias se focalisent sur la folie des talibans, parfois sur la Corée du nord, mais jamais sur l’enfer qu’est devenue l’Erythrée.

Et puis, un jour, enfin, je me suis perdu dans Lisbonne, arpentant les petites rues du Bairro Alto et plus bas celles du port et ses odeurs. C’est dans une de ces rues que j’écoutais, par la porte entrouverte, des conversations et surtout le bruit si caractéristique des verres qui s’entrechoquent. Intrigué, j’ai descendu les quelques marches qui séparaient le trottoir et poussé la porte pour me retrouver dans une pièce remplie de monde et de fumée de cigarettes. Une petite dame pleine de vie m’a gentiment invité à m’asseoir. Je n’avais rien demandé et me suis retrouvé avec un verre et une bouteille d’aguardente. Tour à tour les hommes, il n’y avait pratiquement que des hommes, chantaient les plus beaux airs de fado du pays. C’était très fort. J’étais, comment dire, presqu’au bord des larmes. Mais j’avais aussi le sentiment de trahir mes amis de la gauche portugaise pour qui le fado, incarné par Amalia Rodriguez, était le symbole de la collaboration durant la période fasciste de Salazar. Pour certains d’entre eux, ces mélodies souvent mielleuses, ne représentaient que la souffrance et les lamentations incessantes d’un peuple soumis. Par acclamation, un jeune éphèbe à la voix plus aiguë et plus longue a gagné ce concours de chant. Nous avons trinqué jusqu’aux petites heures. Complètement saoul, je me suis retrouvé écroulé sur un banc d’une petite place qui dominait toute la ville.

Il devait être 5h00 du matin. Les éboueurs sont passés avec leur camion. Un de ceux qui couraient derrière le camion à lancer à toute volée les sacs poubelles parfois éventrés n'était autre que le gagnant du concours de fado.

Je commençais, enfin, à connaître Lisbonne.

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