Un pêcheur et un petit poisson s’amusaient follement, à se taquiner. Le pêcheur lançait son hameçon et prenait beaucoup de plaisir à voir le petit poisson tourner autour, venir le frapper légèrement avec sa bouche. Il savait que tôt ou tard, le petit poisson y mordrait.
Le petit poisson aimait beaucoup cette attente, et sentir le plaisir du pêcheur. Il se laissait aller à ce jeu, confiant qu’une fois pris, le pêcheur le relâcherait, comme il le faisait chaque fois, et le rendrait aux eaux du lac. Il avait cette confiance depuis qu’il avait entendu une histoire incroyable d’un renard qui s’était laissé apprivoiser par un Petit Prince.
Et quand il sentit l’hameçon lui déchirer légèrement la joue, il eût un peu mal, comme les autres fois, mais une douleur mêlée de plaisir. Entre les doigts du pêcheur qui le tenaient doucement mais fermement pour lui retirer l’hameçon, son cœur battait plus vite, de cette angoisse de l’attente du moment où il serait rejeté à l’eau, de la force de la confiance d’avoir mis sa vie entre les mains du pêcheur.
Mais au lieu de le remettre à l’eau, le pêcheur le posa à terre, sans ménagement. De la bouche du petit poisson qui s’ouvrait et se refermait, aucun son ne sortait et ses yeux exorbités étaient désespérés car il sentait la vie s’en aller doucement.
Le petit poisson rassembla alors toutes ses forces, se cambra et en trois sauts douloureux, replongea dans le lac. Il eût fort mal à ce moment. Pas tellement de son effort, mais de voir le pêcheur s’amuser de le voir gigoter ainsi.
Il chercha alors la rivière au fond du lac, pour fuir, s’enfuir vers la mer, là où il était sûr de ne pas retrouver son pêcheur. Arrivé à la mer, il ne supporta pas l’eau salée et mourut, lentement.
Certains disent que le sel de la mer vient de la mort des amours, des petits poissons qui viennent mourir d’amour dans les estuaires. Et que c’est pour ça que les larmes ont le goût du sel.