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Humeur de Toussaint

Court-Saint-Etienne, Brabant wallon,


Ce n’est pas une corvée, non, juste une obligation, pour être à l’heure, dans le coup, « in ».


Je suis donc monté sur le tabouret de la cuisine pour ajuster les aiguilles de l’horloge, en fait seulement la petite, la reculer d’une heure. Puis celle du salon. Les autres, elles, sont déjà satellisées, gpsisées, cela se fait tout seul.


Et puis tout d’un coup, quand j’ai posé le pied à terre, c’est comme si le monde avait changé. Tout était triste, gris alors qu’une heure plus tard, à la même heure, tout était comme avant, presqu’encore l’été, avec ses espoirs et sa chaleur, ses fêtes et son insouciance.


C’étaient les mêmes feuilles sur les branches, mais je ne voyais que les branches nues et les feuilles tombées, mortes. Une heure plus tard, j’admirais comment elles s’accrochaient à la vie, inondant des mille couleurs dorées les façades grises et maintenant j’entrais dans l’hiver, je les trouvais lâches et faibles de se laisser ainsi mourir.


Dans les parterres quelques pensées tristes, retirées de leurs serres par les ouvriers communaux essayaient avec ardeur de sourire mais leurs pétales fanés renonçaient vite sous le poids de la pluie pour ne plus ressembler qu’à des feuilles de salade noircies par la date de péremption dépassée, d’une heure seulement.


Je ne voyais que le jour des morts, pas celui de tous les saints, la ligne noire de l’horizon du cimetière, pas les mille et unes couleurs qui égayaient les tombes et les pleurs de ceux qui s’y recueillaient.


Se promener dans les allées entre les tombes, c’est feuilleter un livre d’histoire, ses guerres, les mêmes tombes pour tous les soldats, avec leur photo dans un médaillon incrusté dans la pierre, sauf pour les tirailleurs sénégalais, anonymes. Pourquoi venir mourir dans la grisaille et le froid ? Aujourd’hui, c’est à ce tirailleur que je pense, sans nom, sans photo, à sa souffrance, sa solitude, son agonie, loin de sa terre, esclave dans une armée venue combattre pour nous épargner l’esclavage. Au moment de succomber, de passer de l’autre côté, quel Dieu a-t-il imploré, a qui a-t-il recommandé son âme en regardant, ivre de douleur, déjà allégé par la vie qui le quittait doucement, en fixant l’Univers au-delà du gris du ciel, cherchant avec désespoir une raison, une seule, d’être là ?


Le mausolée de la famille du comte Gobelet d’Alviela trône comme un petit Taj Mahal sur les amas de pierrailles des tombes des gueux, comme s’il fallait rappeler, sans cesse, que dans la vie ou au-delà, ce sont les mêmes qui écrasent et qui dominent.


Je ne peux m’empêcher de sourire aux souvenirs de nos concours de crachats sur ce monument après avoir reçu du gros sel sur les fesses. Le garde-chasse du comte visait juste !


C’était aussi une promenade dans le labyrinthe de nos souvenirs et il était parfois difficile d’éviter la tombe de celui qui aurait pu être l’amant de ma mère, qui, pour peu, aurait pu être mon père. Alors on faisait semblant de ne pas la voir mais le silence qui s’installait parlait plus fort que nos pensées. Mais en ce jour sacré, personne n’était obligé de le rompre ou alors juste un peu, pour poser les questions dont on connaissait les réponses. Pourquoi mon grand-père et ma grand-mère n’étaient pas enterrés ensemble, pourquoi ce bébé était-il mort après quelques jours à peine ? Parcours de douleurs et de pleurs parfois éclairé de rires étouffés lorsqu’on se rappelait les frasques d’un voisin ou le franc-parler débordant d’amour de cette femme, trop belle, partie trop tôt, parce que des comme elles, elles partent toujours trop tôt, parce qu’elles nous donnent la joie qu’on n’a pas, l’amour qu’on n’a pas et qu’un seul de leurs sourires, un seul, vaut plus que les couleurs de toutes les fleurs de la Toussaint.

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